Diskussion in der Romandie
De la traduction de «Betreuung» et l’importance des mots
Le plurilinguisme de la Suisse est une richesse. Un défi aussi, notamment lorsqu’il s’agit de traduire d’une langue à l’autre des concepts ou des référentiels issus de cultures différentes. La recherche de la juste terminologie conduit immanquablement à s’interroger sur la signification du mot, sur le sens qu’il véhicule et sur l’évolution qu’il reflète dans un cadre donné. Il en va ainsi de la traduction du mot «Betreuung» dans le contexte de la vieillesse et du vieillissement.
«Koordinierte Betreuung im Alter». C’est le titre allemand de cette édition spéciale du magazine Artiset. Dès la première séance de rédaction, qui a réuni durant l’été les représentantes et représentants des neuf organisations participant au projet, la question s’est rapidement posée: comment traduire ce terme de «Betreuung» en français? Prise en charge? Un terme qui fleure bon les années soixante, remarque Alexandre Lambelet, professeur associé de la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (HETSL).
Nul besoin de remonter aussi loin dans le temps: l’expression de «prise en charge» pour traduire «Betreuung» est encore d’actualité dans de nombreux documents de référence des politiques publiques en faveur des personnes âgées et largement utilisée par les différents services et départements de la Confédération. Pourtant, sur le terrain, le terme hérisse: la personne âgée serait-elle donc une charge, un poids, un fardeau? Le professeur de la HETSL ne manque d’ailleurs pas de rappeler qu’au début des années 2000, les co-présidentes du Conseil suisse des aînés alors fraîchement constitué avaient rédigé un éditorial dans lequel elles demandaient que les seniors ne soient pas «pris en charge», mais «pris en considération».
«L’expression de prise en charge laisse entendre que la personne est passive et dépendante. Elle renvoie l’idée d’une relation asymétrique et focalise sur les fragilités et les vulnérabilités», relève Alexandre Lambelet. Sa collègue Valérie Hugentobler, elle aussi professeure à la HETSL, est catégorique: «En sciences humaines et sociales, c’est une terminologie que l’on ne peut plus utiliser.» Et de fait, l’expression de prise en charge ne trouve plus guère grâce aux yeux des milieux professionnels du domaine de la vieillesse, qui lui préfèrent incontestablement le terme d’accompagnement.
Car effectivement, ce vocable reflète mieux le référentiel actuel de la vieillesse et du vieillissement qui intègre les notions d’autonomie, d’autodétermination, de participation et de citoyenneté, et qui privilégie des approches centrées sur la personne. «Accompagner, c’est cheminer avec la personne, avancer côte à côte, d’égal à égal; c’est faire avec elle et non à sa place, en fonction de ses attentes et de ses besoins, en apportant un soutien là où il est nécessaire», résume Valérie Hugentobler.
Cette question de terminologie est-elle le reflet d’une évolution des pratiques? Le vocabulaire associé à la vieillesse peut-il changer les représentations sur les personnes âgées vulnérables et améliorer leur accompagnement? Valérie Hugentobler et Alexandre Lambelet sont particulièrement attentifs au choix des mots dans leurs enseignements. «Le choix des mots n’est pas neutre. En tant que scientifique, dans mes enseignements, je suis très attentive à l’usage et à la définition des termes utilisés. Il est important de ne pas faire l’économie de cette réflexion dans le cadre de la formation», affirme la première. Pour le second, la mobilisation d’un vocabulaire plutôt qu’un autre risque de renforcer des stéréotypes liés à l’âge et aura des incidences concrètes sur la façon de prendre soin des personnes. «Les mots ont un impact. Pour des étudiantes et étudiants, il est difficile de se projeter dans un travail où les personnes sont considérées comme une charge. L’idée n’est pas de nier la dépendance ni les handicaps liés à l’âge, mais d’ouvrir la perspective d’être en lien avec la personne et pas uniquement dans l’accomplissement d’une tâche.»
Absence de définition claire
Au-delà de la portée plus humanisante du terme d’accompagnement, Fabienne Pauchard s’interroge sur ce qu’il recouvre. Responsable chez Artiset du développement des professions et du personnel du domaine des personnes âgées de Suisse latine, elle regrette l’absence d’une définition claire qui permettrait de décrire ce qu’on fait: on aide, on soutient, on assiste. Il est important de se rendre compte que la dimension psycho-sociale de l’accompagnement ne se limite pas aux activités sociales, mais touche à toutes les situations de vie de la personne et dans toutes les prestations d’aide et de soins.
Si la traduction française du terme de «Betreuung» peut poser problème, la signification qu’il revêt n’est pas toujours claire non plus dans le monde germanophone. «Le domaine du soutien aux personnes âgées est bien trop large et complexe pour le résumer en un seul terme», affirme Rebecca Durollet, responsable de formation et de projets de politique sociale au Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud. Elle est aussi chercheuse et, à ce titre, a collaboré à l’étude «Vieillir sans soutien de la famille», publiée en mai 2023 et réalisée par la Haute école du nord-ouest de la Suisse (FHNW). Dans ce cadre, elle a constaté que tout le monde n’avait pas la même compréhension du terme «Betreuung», peinant parfois à le différencier de l’aide (Hilfe) et des soins (Pflege), tant le champ d’action qu’il recouvre est vaste et les acteurs qu’il implique sont multiples: la famille, les proches, le voisinage, les bénévoles, les professionnels… «Nous avons aussi longuement discuté de la bonne terminologie à adopter pour la traduction française de l’étude», raconte-t-elle. Le choix s’est finalement porté sur l’expression «accompagnement psycho-social», une expression qui englobe à la fois les dimensions sociale, individuelle et professionnelle du soutien apporté. «Mais il serait important de disposer d’une définition claire qui soit en phase avec la réalité du terrain», reconnaît-elle.
Une politique de la vieillesse dépassée
«L’accompagnement reste un concept mou et protéiforme, qui se construit et se modifie au fil du temps», remarque Valérie Hugentobler. Peut-être qu’une réponse plus claire pourrait émerger des discussions politiques à venir.
À l’origine, les politiques de la vieillesse se limitaient à la protection de la santé et à la sécurité matérielle et financière. Avec le temps, ces politiques de la vieillesse ont intégré une multitude de champs d’intervention, de référentiels plus larges issus d’organisations internationales (ONU et OMS), lesquels enrichissent la réflexion sur la façon de concevoir le travail avec et auprès des personnes vieillissantes. Ce faisant, les pratiques sont remises en question et la terminologie avec. «Contrairement à certaines politiques cantonales plus actuelles et complètes, la politique de la vieillesse commence à dater en Suisse. Elle doit être repensée», observe Valérie Hugentobler.
En mars 2024, le conseiller aux États schaffhousois socialiste Simon Stocker a déposé un postulat en faveur d’une mise à jour de la politique nationale de la vieillesse. Il demande que les fondements de la politique de la vieillesse soient réévalués et adaptés aux évolutions démographiques, politiques, sociales et scientifiques. Il charge le Conseil fédéral de réexaminer sa stratégie vieillesse datant de 2007 et de l’actualiser en intégrant «des acteurs pertinents».
De tels acteurs auront leur rôle à jouer pour alimenter la réflexion sur les nouveaux modèles d’accompagnement et veiller à adopter un vocabulaire adéquat. La responsabilité est grande puisque l’usage répété de ce vocabulaire par les milieux professionnels, associatifs, scientifiques et politiques va le stabiliser, l’ancrer et l’institutionnaliser. La traduction est aussi un enjeu de taille, particulièrement quant à l’équivalence de signification. Elle exige du traducteur une connaissance fine du domaine, de ses tendances et de son évolution. La spécialisation est d’autant plus importante s’il s’agit de textes appelés à être diffusés et servir de référence, à l’instar d’un lexique partagé.
Source : Article tiré du magazine « Coordonner l'accompagnement des personnes âgées » en collaboration rédactionnelle de la Fondation Paul Schiller avec Artiset/Curaviva, Pro Senectute Suisse, Alzheimer Suisse, Gerontologie CH, Service de relève Suisse, Croix-Rouge suisse, senesuisse et Aide et soins à domicile Suisse (décembre 2024).
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